La théorie de la surcharge cognitive... ou ma tête va exploser!

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By Jean-Philippe Bradette
8 min
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Lors des premiers jours du confinement, nous avons quelque peu réarrangé nos espaces personnels. Je me suis créé un bureau temporaire dans la cuisine en me disant que j’y serais bien installé, avec une vue sur l’extérieur et un accès trop facile à la la cafetière. Une petite musique relaxante, et voilà : le temple de la concentration ultime, sauf que…

J’ouvre mon ordinateur : je suis bombardé de fake news, de tweets, de posts introspectifs et d’offres de webinaires gratuits (et, par chance, de dessins d’arcs-en-ciel). Focus, JP! On planifie la journée, on se concentre. J’aime bien la nouvelle vie avec mes enfants, mais, on va se le dire, avec Léa qui veut écouter les Octonautes, Julianne qui veut de l’aide avec ses mots étiquettes et le chien du voisin qui a besoin d’attention, la musique n’est plus si zen tout à coup, et, ouf, mon cerveau va exploser! C’est comme s’il n’y avait plus d’espace dans ma tête, incapable de réaliser une tâche simple, une vraie surcharge cognitive quoi!

La théorie de la surcharge cognitive est l’une des plus importantes en psychologie cognitive. Elle fait référence à la capacité limitée de notre mémoire de travail à encoder de l’information. Le phénomène de surcharge se produit lorsque la quantité d’informations présentée est trop grande ou que le contenu est d’une complexité élevée. Puisque notre cerveau ne peut faire qu’un certain nombre de choses à la fois, nous devons réfléchir à ce que nous lui demandons de faire. Apprendre implique de l’effort, et la mémoire de travail est alors vulnérable à une surcharge. Comme concepteurs d’expériences d’apprentissage, nous devons être attentifs à cette surcharge cognitive et limiter la quantité d’activités mentales demandées à nos apprenants.

Les types de charge cognitive

Les recherches permettent de distinguer trois types de charge cognitive (Sweller et Chandler, 1994; Sweller, Van Merriënboer et Paas, 1998) :

1. La charge cognitive intrinsèque

La charge cognitive intrinsèque est liée à la complexité de ce que nous apprenons. Elle est déterminée par le degré de connexions entre les connaissances rattachées au sujet d’étude. Prenons par exemple une paire de mots : « rose » et « magenta ». Cette connexion présente une charge intrinsèque très faible parce que les deux mots sont hautement reliés. Par contre, l’apprentissage de la grammaire, en raison des nombreux niveaux de connexions et de règles à mémoriser, est un exemple de charge cognitive intrinsèque élevée (Brame, 2016). La charge cognitive intrinsèque, c’est-à-dire le degré de complexité du sujet, ne peut donc pas être modifiée par la conception pédagogique (Sweller, Van Merriënboer et Paas, 1998).

2. La charge extrinsèque (ou charge inutile)

La charge cognitive extrinsèque fait référence à la manière dont l’information est présentée à l’apprenant, et à tout ce qui est susceptible de déranger l’apprentissage et de susciter un effort non essentiel pouvant nuire à l’apprenant. Un bon exemple serait une présentation PowerPoint inondée d’images et de textes. La charge extrinsèque peut être modifiée, car elle est liée à la façon dont est présentée l’information. (Van Merriënboer et Sweller, 2005). Une expérience d’apprentissage contenant trop d’informations ou inutilement difficile provoque donc une surcharge cognitive extrinsèque puisqu’elle implique des efforts mentaux qui nuisent à l’apprentissage (Brame, 2016).

3. La charge germane, ou essentielle (germane cognitive load)

La charge germane, ou essentielle, correspond au niveau d’activité cognitive nécessaire pour atteindre le résultat pédagogique souhaité. Elle permet d’intégrer les connaissances acquises dans la mémoire à long terme, sous forme de schémas mentaux. En effet, Sweller et ses coauteurs (1998) ont remarqué que, lorsqu’une stratégie pédagogique permet une augmentation de la charge cognitive, elle amplifie aussi l’apprentissage. Ainsi, « [s]i la charge cognitive externe doit être réduite pour éviter de surcharger la mémoire de travail, la charge germane doit quant à elle être augmentée pour améliorer l’apprentissage » (Ayres, 2006). En d’autres mots, ce concept explique qu’une certaine charge cognitive puisse être bénéfique pour apprendre. 

Comment diminuer la pression sur le cerveau de vos apprenants

Voici huit pistes de réflexion pour diminuer la charge cognitive de vos apprenants et les demandes non nécessaires à leur mémoire de travail. 

1. Éliminer le superflu

Nous voulons souvent créer de belles formations pour nos apprenants, mais celles-ci amènent parfois leur lot d’éléments superflus. Retirez-les : images décoratives, musique d’arrière-plan, extras non pertinents… Posez-vous la question : est-ce que ces éléments servent à l’atteinte des objectifs pédagogiques? Peuvent-ils distraire mes apprenants? Je vous suggère à ce sujet la lecture de l’excellent article « Nine Ways to Reduce Cognitive Load in Multimedia Learning », de Mayer et Moreno (2003). 

2. Éviter l’effet de division de l’attention (split-attention effect)

Cet effet se produit lorsque les différentes informations nécessaires à la compréhension d’un sujet sont séparées et non regroupées (Tarmizi et Sweller, 1988). Prenons par exemple l’assemblage d’un meuble : vous avez beaucoup plus de chances de réussir si les dessins et le texte explicatif sont sur le même document, car vous pourrez concentrer toute votre attention au même endroit.

L’effet de division de l’attention est plus important chez les personnes avec moins de connaissances préalables et pour les sujets plus complexes. Offrir une formation d’introduction pour bien présenter le contexte du sujet avant d’entamer ses volets plus techniques permet à l’apprenant de mieux se concentrer sur l’essentiel. En formation en ligne, il s’agit notamment d’éviter les explications redondantes (audio et textuelles), et en activité de mise en pratique, de veiller à ce que les explications et les instructions soient bien regroupées, et d’utiliser des consignes audio pour les tâches où la lecture dévie l’attention. 

3. Éliminer les textes nuages 

Vous savez, ces textes où après trois paragraphes, vous n’êtes plus certain du sujet...? Ce n’est pas toujours facile, mais écrire avec peu de mots réduira la surcharge cognitive. Les longues phrases, les digressions superflues et, surtout, les contenus non pertinents sollicitent le cerveau inutilement. Utilisez seulement les mots qui sont nécessaires et faites des phrases qui ont du sens. Pensez également au niveau de langue de vos apprenants.

4. Faire appel à l’étayage pédagogique (scaffolding) 

L’étayage pédagogique est défini par Deshaies (2004) comme le soutien initial qu’un formateur (un coach ou une personne d’expérience) fournit à l’apprenant dans l’apprentissage d’un concept ou d’une tâche. Cette aide, qui permet de réduire la charge cognitive, est ensuite graduellement retirée à mesure que l’apprenant intègre la connaissance et la met en pratique sans le formateur. L’étayage est une pratique plus complexe qu’on le pense, car elle requiert beaucoup d’habileté de la part du formateur ou du coach. Une bonne relation entre le formateur et l’apprenant est fondamentale, et la patience est de mise. Le formateur doit également être en mesure d’évaluer quand un soutien est nécessaire et quand le contrôle peut être laissé à l’apprenant.

5. Utiliser des exemples résolus (worked examples) 

L’exemple résolu est un moyen très efficace pour apprendre à réaliser une tâche ou à résoudre un problème dans un domaine où l’on a peu de connaissances préalables. Il s’agit de présenter concrètement la solution complète d’un problème, étape par étape, ou la manière de réaliser une tâche complexe (Clark, Nguyen et Sweller, 2006). Utiliser des exemples résolus comme une étude de cas ou une présentation vidéo permettrait de réduire la charge cognitive associée à la résolution de problèmes. 

6. Utiliser des aides à la tâche

L’utilisation d’aides à la tâche est un excellent moyen pour réduire la charge cognitive. Ils agissent comme une mémoire externe dans le processus d’apprentissage et évitent à l’apprenant de mémoriser certaines connaissances qui, dans le contexte du travail, pourront être mises en application grâce à cet outil.

7. Favoriser la collaboration 

Selon la théorie de la surcharge cognitive, plus la complexité d’un contenu augmente, plus l’efficacité de l’apprentissage individuel diminue. À l’opposé, l’efficacité de l’apprentissage d’un contenu complexe augmenterait dans un contexte collaboratif. En effet, des chercheurs ont remarqué que dans certaines conditions, l’apprentissage en groupe permettrait de partager la charge cognitive (Kirschner, Paas et Kirschner, 2009). 

L’apprentissage collaboratif se produit quand deux ou plusieurs apprenants contribuent activement à l’atteinte d’un objectif pédagogique commun en combinant leurs efforts (Teasley et Roschelle, 1993). C’est ce partage de l’effort qui permettrait de réduire la charge cognitive.

8. Susciter la motivation et l’engagement

Il est essentiel de s’assurer de la motivation et de l’engagement des apprenants. S’ils ne désirent pas acquérir de nouvelles connaissances, n’y voient pas un avantage personnel significatif pour eux et ne s’investissent pas dans leur apprentissage, toutes les actions entreprises pour réduire la charge cognitive extrinsèque ne serviront à rien.

En prolongation

Il est important de mentionner que la théorie de la charge cognitive a essuyé plusieurs critiques au cours des dernières années sur le plan tant conceptuel que méthodologique. Par exemple, Moreno (2009) décrit un manque de clarté dans la définition des termes « charge cognitive », « charge mentale » et « effort mental ». De plus, De Jong et Moreno remettent en cause la validité des résultats obtenus lors d’études en laboratoire, menées de façon décontextualisée avec des personnes ayant peu de motivation. Ces chercheurs reconnaissent les apports de cette théorie pour la psychologie cognitive, mais souhaitent plus de recherches pour la solidifier.

Conclusion 

Notre mémoire de travail est souvent trop sollicitée. Dans le contexte de la pandémie actuelle tout particulièrement, la quantité d’informations nouvelles au quotidien, voire d’heure en heure, est beaucoup trop grande pour que nous puissions efficacement la traiter. Ce constat ne fait que renforcer l’idée comme quoi nous devons développer des expériences d’apprentissage qui optimisent la capacité de la mémoire de travail et éliminent la surcharge cognitive. En réduisant l’effort mental supplémentaire requis pour apprendre de nouvelles connaissances, nous pouvons garantir une plus grande réussite de nos interventions pédagogiques. L’apprentissage et le changement de comportement prennent du temps. Nous devons permettre aux apprenants de bien digérer l’information apprise, et à leur cerveau de respirer. Prenez soin du cerveau de vos apprenants.

Références 

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